Vingt-quatre heure de la vie d'une femme de Stefan Zweig

Publié le 25 Janvier 2014

Résumé

 

Scandale dans une pension de famille « comme il faut », sur la Côte d'Azur du début du siècle : Mme Henriette, la femme d'un des clients, s'est enfuie avec un jeune homme qui pourtant n'avait passé là qu'une journée. Seul le narrateur tente de comprendre cette « créature sans moralité », avec l'aide inattendue d'une vieille dame anglaise très distinguée, qui lui expliquera quels feux mal éteints cette aventure a ranimés chez elle. Ce récit d'une passion foudroyante, bref et aigu comme les affectionnait l'auteur d'Amok et du Joueur d'échecs, est une de ses plus incontestables réussites.

Mon commentaire

 

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme est sans aucun doute une des nouvelles les plus connue de Stefan Zweig. Ecrite en 1927, au faîte de sa gloire, elle vient s’ajouter à un parcours d’écrivain, de poète, de dramaturge et de biographe déjà bien rempli. Ses nouvelles, destinées à un public plutôt féminin, sont d’une grande finesse dans la construction de l’histoire. Il est capable de donner une crédibilité remarquable à ce qu’il raconte. « Stefan Zweig fut, de son vivant, écrit Isabelle Hausser, l’un des auteurs les plus lus et les plus traduits de son temps, l’un des plus appréciés d’un immense public ». Traduite et publiée en France en 1929, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme raconte l’histoire d’une rencontre : celle d’une vieille dame anglaise (un peu plus jeune à l’époque) et d’un jeune aristocrate polonais désargenté, mais très dépendant des jeux d’argent. « Il n’était plus capable de penser, de dormir en paix et encore moins de se dominer » (p. 87). Et la dame anglaise d’ajouter : « la seule chose qui dans son récit m’émouvait et me terrifiait au plus haut point, c’était cet asservissement d’un homme jeune, serein et insouciant par nature, à une passion insensée » (p. 90). Cette attirance presque physique pour assouvir son besoin du jeu est encore de nos jours une réalité. Une seule fois j’ai été dans un Casino, pour l’anniversaire d’un ami. Les machines à sous sont disposées de telle manière, avec une certaine ambiance musicale, qu’il est difficile de ne pas se prendre au jeu. J’ai vu des gens avec leur seau de jetons passer frénétiquement d’une machine à une autre. Parfois, j’entendais le cliquetis des jetons qui tombaient hors de la machine, ce qui signifiait que quelqu’un venait de gagner un gros lot. J’avais dépensé le minimum possible, mais je ne m’explique toujours pas ce qui m’a poussé à jouer jusqu’au bout les jetons en ma possession. Même après en avoir gagné plus qu’au départ, je recommençais, tout en me disant que ce n’est vraiment pas sérieux. Etait-ce l’espoir d’obtenir le gros lot ? Simplement le fait de l’ambiance ? Une sorte de pulsion incontrôlée ? Sans doute un peu tout ça à la fois.

Quoi qu’il en soit, c’est une nouvelle qui m’a parlé sur ce plan, celui de l’addiction maladive au jeu. Zweig y soulève un autre problème moral. Celui de la femme mariée qui s’en va avec un autre homme. Comment ne pas faire ici le parallèle avec la propre histoire de notre auteur ? Lorsqu’il rencontra sa première femme, Friderike, à l’été 1912, elle était mariée et avait déjà deux filles. Difficile de résister à la tentation de la comparaison. Le jeune français riche et distingué qui arrive dans l’hôtel, au début de la nouvelle, n’est-ce pas une sorte d’autoportrait ? Curieusement, la suite de l’histoire va dans ce sens. A l’époque, Stefan Zweig voyage toujours beaucoup. Il a la réputation d’être volage, même une fois mariée. Son personnage paraît très à l’aise dans le domaine. « Si une dame se rendait au vestiaire, il s’empressait d’aller lui chercher son manteau ; il avait pour chaque enfant un regard amical ou un mot de plaisanterie ; il était à la fois sociable et discret ; bref, il paraissait un de ces êtres privilégiés, à qui le sentiment d’être agréable aux autres par un visage souriant et un charme juvénile donne une grâce nouvelle » (p. 18). En fait, l’archétype de l’homme de salon, discret, essayant de plaire à tout le monde. Marcel Proust, un peu plus tôt dans le siècle, en est un exemple très illustratif. Même Zweig fut sans doute un peu comme cela. Il apparaît rapidement qu’il courtise la femme d’un « gros et cossu industriel lyonnais ». Le couple a deux filles, Annette et Blanche. Les trentes premières pages de la nouvelle racontent les discussions qui ont suivis entre le narrateur et les autres clients du chalet. La jeune femme est-elle coupable de quelque chose ? Est-ce bien ou mal d’abandonner ainsi son mari et ses filles ? Pourquoi Mme Henriette a-t-elle prise la décision de partir précipitamment avec le jeune Français ? C’est cela que cherche à comprendre le narrateur.

L’histoire de la dame anglaise et du jeune homme polonais répond en partie à la question, à la manière de Zweig, en alliant une touche de pathos avec une psychologie toujours sensible aux sentiments des individus, tout en nuance finalement. C’est un analyste talentueux en ce qui concerne l’esprit humain. Il était même loué par Freud pour cet aspect-là de son œuvre de nouvelliste et de romancier. C’est un peintre des sentiments. Parfois, il va jusqu’à la caricature, mais cela permet de bien mettre en évidence les traits saillants d’une personnalité. Le narrateur de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, qui parle au départ à la première personne, a une opinion assez tranchée concernant l’attitude de Mme Henriette : « Pour ma part, je trouvais plus honnête qu’une femme suivît librement et passionnément son instinct, au lieu, comme c’est généralement le cas, de tromper son mari en fermant les yeux quand elle est dans ses bras » (p. 25). Il réagit ici à la vision assez peu nuancée de la dame allemande, pour qui il  y a « d’une part, des femmes dignes de ce nom » et « d’autre part, des ‘‘natures de gourgandine’’ ». Ce qu’était, selon elle, Mme Henriette. Cela nous offre, à nous lecteur, une certaine idée de la mentalité bourgeoise au début du siècle dernier.

Finalement, cette nouvelle est une franche réussite et j'ai été vraiment captivé par l'histoire. Elle est riche en rebondissements. La fin est prévisible, mais on ne veut pas l'admettre et jamais on ne trouve l'attitude des protagonistes odieux ou répréhensible. Le jeune polonais m'a fait à la fois pitié et horreur. Obnubilé par sa passion du jeu, il est déconnecté totalement de la réalité, allant jusqu'à faire des choses assez peu recommandable. Je n'en dis pas plus et vous invite à lire cette excellente nouvelle de Zweig. J'avais lu La Peur et Le Joueur d'échecs il y a déjà pas mal de temps. L'auteur m'avait fait forte impression, mais sans que j'en garde un souvenir inoubliable. Lorsque s'est présentée l'occasion de lire Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, trouvée dans la bibliothèque parentale, je n'ai pas hésité. Je ne suis donc pas déçu par ma lecture.

Rédigé par Simon Levacher

Publié dans #notes de lecture, #littérature

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