Interview de Colin Marais pour son Dracula (2014)
Publié le 21 Novembre 2014
L'entretien a été effectué sur Facebook le 21 novembre 2014 en soirée. Colin Marais, auteur d'une récente adaptation en alexandrins du célèbre roman de Bram Stoker, Dracula, est interviewé par Simon Levacher, responsable du blog Le cours du temps.
Le Cours du Temps (LCT) : Une question simple pour commencer : pourquoi écris-tu ?
Colin Marais (CM) : Pour me changer les idées, pour m'offrir un défi et me prouver, souvent, que je ne suis pas "fini" comme j'en ai parfois la fâcheuse impression, comme après la fin de mon mémoire en M2.
LCT : Est-ce que tu pourrais parler de tes goûts littéraires, des styles ou des auteurs que tu aimes bien et qui sont susceptible d'avoir contribué à la construction de ton style personnel ?
Mes auteurs préférés sont Alfred de Musset, Victor Hugo et Boris Vian. De Musset j'apprécie la musicalité des vers, le sens de la réécriture qui parcourt son œuvre; de Hugo j'apprécie la démesure, et le sérieux des recherches, le souci de vérité qu'on retrouve dans "Les travailleurs de la mer" et dont j'ai voulu m'inspirer (à bien moindre mesure bien entendu) pour mon "Dracula"; de Vian, la vision poétique, souvent désabusée et cruelle, mais qui n'a pas eu "de prise" sur mon ouvrage.
LCT : Entrons maintenant dans le vif du sujet : d'où t'es venu l'idée de versifier le célèbre roman de Bram Stoker et pourquoi le choix du personnage de Dracula ?
CM : En fait, cela correspond à un projet mûrement réfléchi. J'ai fait une série de cauchemars durant mes 10-11 ans que je m'étais alors juré de fixer en vers, ce que j'ai fait à 21-22 ans. Ayant fini avec ces poèmes de plus en plus longs (de 120 à 250 vers), je voulais faire une oeuvre plus importante tout en ne me sentant pas le souffle nécessaire au développement d'une intrigue très longue. D'où l'idée de réécrire Dracula en vers, en respectant au mieux le roman originel; le personnage est complexe, intéressant, et se replonger dans l'époque du roman, la prose de Bram Stoker (certains de ses propos ne passeraient plus aujourd'hui) me semblaient, en tant qu'historien, intéressants à étudier et à réinterpréter.
LCT : A présent, pour les lecteurs qui ne connaissent pas l'histoire de Dracula, peux-tu la résumer en quelques mots. Placer le décor d'une certaine façon, sans nécessairement raconter la « fin »...
CM : Jonathan Harker, un clerc de notaire, est envoyé auprès d'un comte, Dracula, en Transylvanie, pour finaliser la vente de plusieurs propriétés à Londres et Carfax. Peu à peu, son hôte lui semble de plus en plus inquiétant et surnaturel, jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il est séquestré. Dracula, quant à lui, se rend en Angleterre dans un navire qui aborde, mystérieusement, la ville de Whitby où se trouvent Mina (la fiancé de Harker) et son amie Lucy. Dracula jette son dévolu sur Lucy que protègent ses amis dont Quincey Morris. Peu à peu un groupe se forme pour combattre Dracula, formé autour d'Abraham Van Helsing, un prestigieux enseignant Hollandais entouré de Mina, de Jonathan Harker (échappé du château de Dracula) et d'autres personnes pour mettre fin aux agissements du vampire.
LCT : Dracula est inspiré d'un personnage historique. Peux-tu m'en dire quelques mots ?
CM : Dracula, de son vrai nom Vlad Tepes, était un prince de Valachie durant le XVe siècle. Il est connu pour les conflits qui ont émaillé son règne, mais surtout pour le sort qu'il fit subir à certains dignitaires de son royaume, les boyards, qu'il fit empaler, ce qui lui a valu une réputation de cruauté inspiratrice pour Bram Stoker à la toute fin du XIXe.
LCT : De même, j'ai lu et entendu dire récemment sur des radios publiques (France Inter et France Culture) que le roman de Stoker est catalogué comme de la littérature de gare, voir de la littérature érotique. Que penses-tu de cela ?
CM : Littérature de gare, c'est cruel; le roman témoigne d'une certaine complexité, en ce sens qu'il est épistolaire et mobilise donc de nombreux narrateurs, témoignant d'une intrigue recherchée, même si le personnage de Dracula est peut-être moins ambigu que dans l'adaptation magistrale de Francis Ford Coppola. Pour ce qui est de l'érotisme, le roman a été rédigé lors de la prude période victorienne; seules deux scènes peuvent être jugées érotiques, mais décrites de telle manière que le roman conserve sur ce point une "réserve" surprenante par rapport à ce qu'en disent certains commentaires. Les adaptations, par contre, ont accentué ce trait. Mais elles répondent à une autre attente du public: la pudibonde époque victorienne était depuis longtemps révolue.
LCT : Dans ma présentation de ton Dracula, j'ai pu écrire que ce pourrait être une version annotée du roman de Stoker. Il y a en effet, en fin d'ouvrage, de nombreuses notes. J'ai lu aussi dans un article du Courrier Cauchois que ce livre « s'adresse à un public averti ». Alors, qu'apportent les notes aux lecteurs et en quoi n'est-il pas un ouvrage accessible à un public non-averti ?
CM : Les notes de lecture apportent deux choses: d'abord, une simplification du roman, de certains termes un peu complexes. Ensuite, une mise en lumière des multiples références, tant bibliques que mythologiques, car si j'ai tâché de respecter le roman le plus fidèlement que je pouvais, je tenais aussi à développer cette symbolique pour que rien ne soit laissé au hasard, que chaque petit événement puisse renvoyer à la lutte mythique que mènent Van Helsing et ses proches contre Dracula. C'était un moyen de réinventer l'histoire tout en lui restant fidèle.
LCT : Eh bien, pourquoi ne serait-il pas accessible à un large public ?
CM : Disons qu'il est plus accessible si l'on connaît l'histoire originelle. C'est un va-et-vient constant entre l'ouvrage original et le mien.
LCT : Une question que j'ai oublié de te poser tout à l'heure. Je sais que ta mère écris des poèmes et qu'elle dessine. As-t-elle influencée d'une manière où d'une autre ton goût pour la poésie et l'écriture en générale ?
CM : Depuis mon enfance je me suis habitué à lire, et l'exemple maternel m'a guidé, indéniablement. Après, nos goûts littéraires diffèrent assez nettement: je préfère Musset à Rimbaud par exemple, même si j'apprécie la poésie de ce dernier.
LCT : Pour finir, as-tu des projets pour un prochain livre ? En effet, l'article du Courrier Cauchois mentionne un penchant pour le roman policier.
CM : Peut-être. J'hésite en fait à faire un recueil de nouvelles autour d'un thème inspiré précisément d'une phrase de Rimbaud.
LCT : Eh bien voilà. Merci à toi pour avoir répondu à ces quelques questions.
Voici les références du livre :
MARAIS Colin, Dracula, Paris, Edilivre, "Classique", 2014 (338 pages).