Lire et écrire à Babylone compte 314 pages. Il a été écrit par l'assyriologue Dominique Charpin, professeur au Collège de France. Je l'ai lu sur ma liseuse et n'ai donc pas la pagination.

Dominique Charpin est donc professeur au Collège de France depuis 2014. Ses cours, très pédagogiques, et dont les vidéos sont accessibles en ligne (voir ici), ont portés sur les temples en Mésopotamie, sur les alliances au Proche-Orient ancien, sur la lecture et l'écriture en Mésopotamie à l'époque paléo-babylonienne (qui remet au goût du jour le présent livre), sur la ville d'Ur et enfin, le cours de cette année a été consacré à la Mésopotamie sous les successeurs d'Hammu-rabi (le roi du fameux code de loi). De ses cours, il a tiré deux ouvrages, dont l'un est paru (sur les temples) et l'autre à paraître.

Le livre est accompagné de tableaux chronologiques, d'une carte du Proche-Orient, d'une table des abréviations et une bibliographie.

Ayant été un peu pris par le temps en ce mois de janvier, la fin de ma lecture commence à remonter, mais je vais essayé de donner mes impressions.

Pour commencer, je tiens à préciser que c'est un livre très accessible pour le niveau qu'il prétend avoir. C'est incontestablement universitaire, mais ce n'est pas un manuel. D'ailleurs, Charpin utilise volontiers le "je", ce qui est quand même peu commun en Histoire normalement (mais ça rend le propos plus incarné et vivant). Il est évident que le style des premiers lecteurs et écrivains de l'humanité n'est pas le notre. Les Mésopotamiens pensaient que l'écriture était descendu du ciel, au même titre que la royauté. L'épopée de Enmerkar et le seigneur d'Aratta présente une version de l'invention de l'écriture.

Parce que la bouche du messager était trop "lourde" et qu'il ne put répéter (le message), le seigneur de Kullab (=Enmerkar) modela de l'argile et y fit se tenir des mots (lit : "une parole") comme sur une tablette. Avant ce jour, il n'était pas possible de faire se tenir des mots dans l'argile. Mais alors, quand le soleil se leva ce jour-là, ce fut fait : le seigneur de Kullab fit se tenir des mots comme sur une tablette - ce fut fait !

Dominique Charpin, "Lire et écrire à Babylone"

Dans l'introduction, Dominique Charpin s'intéresse au déchiffrement des tablettes cunéiformes et à la particularité d'une écriture en trois dimensions, puisque les fameuses tablettes sont bombées et creuses à l'intérieure. Il revient évidement sur l'alphabet (très rapidement).

Dans le premier chapitre, l'auteur regrette que les spécialistes de l'écriture et de la lecture de l'Antiquité s'intéressent paradoxalement fort peu à ce qu'il y a avant la Grèce. Pourtant, n'est-ce pas une réelle question que de savoir qui lisait et écrivait en Mésopotamie ? Au final, il ressort que l'écrit n'était pas l'apanage des scribes, et que dans l'élite hommes et femmes écrivaient. Il apparaît aussi que la lecture était sans doute plus répandue que l'écriture. Il existe aussi une écriture plus spécialisée : celles des fonctionnaires. Charpin montre également dans ce chapitre que l'écriture cunéiforme était moins complexe qu'il peut sembler au premier abord. Certes, un assyriologues aura à sa disposition un inventaire d'environ 600 signes. Or, à l'époque, les besoins étaient plus restreints. Ainsi, un marchand du XIXe siècle av. J.-C. en Cappadoce pouvait écrire avec un minimum de 68 signes. Un scribe babylonien de la même époque pouvait écrire avec un minimum de 82 signes.

Suite logique du premier chapitre, le second s'intéresse à l'apprentissage de l'écriture. Charpin revient aussi sur cette question dans son cours de 2016-2017. Nombreuses tablettes scolaires mésopotamiennes ont été découvertes dans les fouilles archéologiques. C'est donc quelque chose d'assez bien connu. L'auteur adopte une approche chronologique dans ce chapitre et termine par la transmission familiale du savoir au premier millénaire avant notre ère. Il est question de tradition, à laquelle les Babyloniens étaient très attachés. Il y a finalement une question d'initiation.

Dans le troisième chapitre, il est question de la forme des documents, de leur élaboration et de leur transmission. L'écriture des anciens n'avaient pas le même but, ni la même fonction que celui que nous pouvons donner au XXIe siècle. Ainsi, il y a de nombreux inventaires dans les sources, pour un peu tout. Par exemple, un titre de propriété, déjà à l'époque, inventoriait les propriétaires d'un terrain, ce qui constituait un élément de preuve. Charpin montre alors que certains habitants savaient lire leurs tablettes. Il montre aussi que l'archivage devient de plus en plus un moyen de palier les défaillances de la mémoire.

Dans le quatrième chapitre, il est question de la vie juridique. Effectivement, de nombreux documents découverts sont de nature juridique. En effet, de tels documents ont un intérêt que l'on devine. Ils permettent de prouver un contrat en deux personnes, par exemple. Les textes juridiques concernent donc des actes d'achat, d'adoption ou encore d'héritage. Le deuxième millénaire connaît à ce titre une révolution dans le droit privée (l'écrit prend une place plus importante qu'avant) et dans le droit international (apparitions de traités écrits). Charpin s'intéresse aux gestes et à la parole qui entourent les écrits, à la rédaction du texte, ainsi qu'à son authentification. La Babylonie du Nord fut stable sur plus de trois siècles, ce qui permet de suivre des familles sur plusieurs générations, grâce à leurs archives (ce qui est exceptionnel).

Le chapitre cinquième s'intéresse à la correspondance. A l'origine, dans l'esprit des scribes mésopotamiens, l'écriture est une forme de communication entre rois. Sur le seul site de Mari, ce sont des milliers de lettres qui sont connues. Charpin s'interroge sur la question de l'écriture des lettres, à l'acheminement du courrier et à la lecture des lettres. Il cite un extrait de Thucydide pour montrer que les Mésopotamiens avaient compris les avantages de l'écrit bien avant les Grecs.

On voit en effet le degré de sophistication que les échanges de correspondance avaient atteint dans le Proche-Orient du deuxième millénaire et l'importance qui s'attachait à la communication écrite à cette époque. (...) Les femmes également avaient recours à l'écrit : bien sûr, ce sont avant tout celles qui appartenaient à l'élite qui sont ainsi attestées, mais le corpus de leurs lettres est considérable.

Dominique Charpin, "Lire et écrire à Babylone"

Pour une femme de l'époque, la lettre n'avait pas une fonction très différente que celle qu'une Madame de Sévigné pouvait lui donner au XVIIe siècle : elle permettait d'abolir les distances et elle donnait un sentiment de proximité. Nous connaissons cela encore davantage avec les technologies numériques et les réseaux sociaux. Nous pouvons être au courant presque instantanément d'un évènement qui a lieu en Chine.

Le chapitre sixième est consacré aux œuvres littéraires. L'auteur s'intéresse pour commencer à la notion d'oeuvre littéraire telle qu'elle peut se comprendre à l'époque. Il se demande aussi ce qu'était une bibliothèque. Il en ressort qu'il s'agit davantage d'un centre d'archives que d'une bibliothèque au sens moderne. Ensuite, il s'intéresse à la bibliothèque d'Assurbanipal. Que pouvait-on y trouver ? Enfin, il plonge le lecteur dans les fonds de manuscrits des lettrés et termine par les bibliothèques de temples. Par exemple, Charpin montre un fait étonnant : la plupart des bibliothèques connues contiennent les mêmes textes (ou presque).

Dans le septième et dernier chapitre, l'auteur nous emmène dans un voyage chez les dieux, ou plus exactement à la recherche des messages destinés aux dieux. Si la plupart des textes ont une fonction pratique, il existe des textes dont le but est de transmettre un message dans l'au-delà. Charpin comprend dans cette catégorie les dédicaces et les inscriptions de fondation, ainsi que le genre annalistique (commémoration des événements importants d'un roi au fil des ans). Il montre que ces inscriptions commémoratives des rois ont été très utilisées pour écrire l'Histoire. Or, elles sont trompeuses et doivent nécessiter une lecture critique.

Au final, c'est un livre d'un grand intérêt, qui permet de mieux connaître cette époque passionnante. Pour ceux de mes lecteurs qui voudraient en lire un peu plus sur cette époque, je conseillerais à la fois de visionner la vidéo ou de lire le texte de la leçon inaugurale au Collège de France de Dominique Charpin, mais aussi le volume illustré consacré par les éditions Belin à cette période ancienne.