La première croisade par Peter Frankopan (Les Belles Lettres, 2019)

Publié le 25 Décembre 2019

Ma chronique du jour concerne le livre de Peter Frankopan, La Première croisade. L'appel de l'Orient (Les Belles Lettres, 2019), paru en 2012 pour l'édition originale en anglais. La traduction française a été réalisée par Pascale Haas. En un mot, avant tout préambule, les 260 pages de ce livre furent dévorées en quatre jours et il sera mon premier coup de cœur historique de l'année (il n'est jamais trop tard pour ça). 

 

Professeur à Oxford, Peter Frankopan est surtout connu aujourd'hui pour son livre sur Les routes de la soie, paru en 2015, et qui fût un succès de librairie (pour un livre d'histoire s'entend). Bien que n'ayant pas lu ce livre, le nom de l'auteur me disait quelque chose. Centrer l'histoire de la Première croisade sur la vision byzantine me semblait intéressant pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, bien que j'aie étudié les croisades à l'université, notamment par le biais du cours magistral professé sur le Moyen-Âge, ainsi qu'au moment de la préparation du Capes en 2015, je suis resté sur ma faim concernant les Croisades.

De là découle une autre raison qui m'encourageât à acheter ce livre. Les chroniqueurs occidentaux proposent une vision des événements qui paraît tronquée. Peut-être est-ce aussi le fait de la bibliographie traditionnelle, un peu datée, que j'avais lue à la faculté, à commencer par les ouvrages de René Grousset, Jacques Heers ou encore Zoé Oldenbourg

La bibliographie française est encore lisible aujourd'hui, ne serais-ce que pour le plaisir littéraire, mais elle ne me satisfaisait déjà pas à l'époque de mes études. J'en retenais une vision négative de l'attitude de l'Empire byzantin durant ce que les historiens nomment les croisades. De plus, avant ma lecture, j'avais en tête cette image d’Épinal du pape Urbain II prêchant la guerre sainte à Clermont en 1095. Pour moi, il s'agissait d'une croisade initiée exclusivement par les Occidentaux, pour leur seul profit.

Or, ce n'est pas vraiment la réalité historique (du moins c'est un angle de vue très biaisé).

Le livre de Peter Frankopan m'a donc apporté des explications à cette impression. La Première croisade fût bien une guerre religieuse, mais aussi, et surtout, un immense coup diplomatique de l'empereur Alexis Comnène (règne : 1081-1118). Ma vision de cette croisade est radicalement changée après la lecture de ce livre. Cela explique mon coup de cœur.

Malgré quelques coquilles, peut-être imputables à la traduction, le contenu me semble reposer sur une bibliographie conséquente. Celle citée dans le livre, notamment à la fin, est évidemment centrée sur les livres en anglais. Ainsi, il manque des références en français.

Plus de la moitié du récit est presque exclusivement centré sur Byzance, malgré un premier chapitre plus contextuel. Frankopan s'appuie beaucoup sur une source de premier plan, l'Alexiade, texte écrit par Anne Comnène (1083-v.1153), la fille d'Alexis Ier. Les Belles Lettres en propose d'ailleurs une très belle réédition dans leur collection du centenaire.

La première moitié du livre concerne la gestion de l'Empire, la prise de pouvoir par Alexis Comnène, ainsi que la stratégie de celui-ci en Asie Mineure pour tenter de conserver une certaine stabilité. Une politique diplomatique qui sera un cuisant échec pour l'empereur. S'ajoute à ça le complot de Nicéphore Diogène.

Alexis se retrouve dans une situation si précaire qu'il fait appel à l'Occident pour lui envoyer des renforts. C'est sur ce point que les chapitres 6 et 7 se concentrent plus particulièrement. Par la suite, nous entrons vraiment dans le vif du sujet, pour ainsi dire, avec un très intéressant point sur la gestion des croisés par Alexis lorsqu'ils arrivent dans l'Empire, avec l'intendance que cela nécessite. Frankopan montre alors que les qualités de gestionnaire de l'empereur sont réelles. Le rôle d'Urbain II est aussi présenté sous un angle inédit pour moi.

Les chapitres 9, 10 et 11 décrivent les combats en eux-mêmes, avec la prise des trois grandes villes stratégiques que sont Nicée, Antioche et bien sûr Jérusalem. Malgré leurs querelles, les croisés sont bien organisés, disciplinés et se retrouvent parfois en face d'armées turques bien supérieures, mais trop sûr d'elles-mêmes. Des massacres se sont produits dans les deux camps. 

Le dernier chapitre revient sur les conséquences de la croisade et, plus intéressant, sur la façon dont les faits ont été réécrits à la convenance des chroniqueurs occidentaux. Frankopan montre comment Alexis Ier a été vu comme un traître et un lâche. Son rôle est mis au second plan, voire totalement nié. Dans le même temps, celui d'Urbain II est revalorisé par les chroniqueurs occidentaux.

En conclusion, n'étant pas spécialiste des croisades, ayant finalement peu lu sur le sujet - à part des classiques français - je ne peux pas affirmer que ce livre apportera réellement une plus-value à un connaisseur. Toutefois, ne serais-ce que pour l'angle de vue de l'histoire de la Première croisade proposée c'est une pépite. Très synthétique, n'entrant pas trop dans les détails, le récit est juste bien pensé pour donner envie d'en savoir plus, à la fois sur le contexte byzantin, sur l'histoire des Turcs et des territoires musulmans, mais aussi sur les grandes figures de la croisade, tels Baudouin de Boulogne, Godefroy de Bouillon, Tancrède de Hauteville, Raymond de Toulouse ou encore Robert de Flandres (qui entretenait des relations avec Alexis Ier bien avant la croisade). D'ailleurs, un autre point intéressant de ce livre, c'est que Frankopan montre que les informations circulaient assez bien en Europe et qu'il était possible de mettre en place des stratégies de communication efficace.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les Croisades, je conseille l'excellente chaîne de Herodot'com, qui a sortie plusieurs vidéos très détaillées et sérieuses sur le sujet. Sa dernière aborde justement la question de la bibliographie sur les Croisades.

Rédigé par Simon Levacher

Publié dans #histoire

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