La biographie historique en France

Publié le 15 Août 2018

Cet article a pour objet la biographie historique. Genre que j'affectionne particulièrement, il a connu ses heures de gloire dans les années 1970 et 1980. Très longtemps méprisé par les universitaires français, le genre a connu un renouveau avec la publication du Louis XI de Kendall.

 

J'ai envie de faire cet article depuis longtemps, mais j'ai du économiser quelques euros pour pouvoir regarder les chiffres des ventes sur Edistat, qui concernent les ventes en librairies et en grandes surfaces. En effet, le chiffre des ventes des livres est presque un secret de Polichinelle en France. Certains médias ont accès à ces chiffres, moyennant un coût assez faible pour ces structures, mais ne partage presque jamais ces informations (sauf pour les gros succès).

Pierre Lemaître, 180000 exemplaires vendus au 25 février, Elena Ferrante, 160000, Jean d'Ormesson 150000, Delphine de Vigan 90000, Paul Auster 65000, Jean Teulé 42000, Isabelle Carré 40000... Les chiffres valsent au sommet de notre palmarès fiction.

L'Express, article du 10 mars 2018.

En revanche, si un particulier veut y accéder, il doit payer très cher un site comme Edistat (5,40€ pour les chiffres de ventes d'un livre de sa parution à aujourd'hui). Et encore, les ventes sont celles comptabilisées à partir du 1er janvier 2004. 

En plus, pour pouvoir obtenir une idée plus juste des ventes, il faut prendre en compte le constat selon lequel les ventes en librairies et grandes surfaces concernent 70% des ventres d'un livre. Il faut y ajouter donc les 30% manquants, qui sont les autres sources d'achats (Internet notamment). Cela donne un chiffre finalement approximatif. Dernière précision : je m'appuie sur les chiffres concernant presque exclusivement les grands formats. Certains ouvrages ont été plus tard publiés en poche et il faudrait comptabiliser ces ventes. Ce choix est limité par mon budget, car je ne retire rien de ce blog, donc c'est une dépense à perte en quelque sorte. Mon but était surtout de pouvoir compléter et prolonger les chiffres et les analyses proposées par François Dosse dans Le pari biographie (La Découverte, 2011, pour l'édition de poche).

 

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Sommaire

1. Le marché du livre en France en 2016-2017.

a) Les chiffres-clés du secteur du livre français en 2018.

b) Les meilleures ventes en 2017.

c) La place de l'Histoire.

2. Le marché de la biographie historique.

a) Les succès des années 1970 à 1990.

b) Un succès en trompe-l’œil ?

c) Les années 2000 et 2010 : une perte de vitesse ?

d) Le choix d'une biographie : quels critères ?

3. Un genre difficile.

Conclusion

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1. Le marché du livre en France en 2016-2017.

a) Les chiffres-clés du secteur du livre français en 2018

Les achats de livres historiques sont globalement stable en France. En mars 2018, les chiffres-clés du secteur du livre français, pour 2016-2017, ont été publié par le Ministère de la Culture.

Tout d'abord, le nombre de nouvelles entrées au catalogue de la Bibliothèque nationale de France est impressionnant pour 2017. 81 263 titres, soit une hausse de 4,2% par rapport à 2016 (année qui avait déjà connue une hausse par rapport à 2015). Le pendant de cette hausse, c'est la baisse du nombre de tirages par publication, environ 5 000 exemplaires.

En 2017, le livre numérique connaît une hausse importante (+10% par rapport à 2016). Toutefois, il y a 4 fois plus de références disponibles sur le marché concernant les livres imprimés. Cette hausse du numérique s'explique peut-être par une question purement économique.

En effet, si les lecteurs lisent plus, et qu'ils achètent plus, ils se dirigent vers des achats moins onéreux. En 2016, le nombre d'exemplaires vendus est effectivement en hausse. Le marché de l'occasion reste stable. En plus du livre numérique, le livre de poche connaît un succès réel avec 26,9% des exemplaires vendus, soit une hausse de 2,9%. Le chiffre d'affaire des éditeurs reste important en 2016 : 2,8 milliards d'euros pour les livres imprimés (dont livres scolaires). Toutefois, depuis au moins 2012, ce chiffre n'a cessé de baisser.

b) Les meilleures ventes en 2017

Concernant les titres vendus, c'est le tome 37 des aventures du Gaulois Astérix qui arrive loin devant en 2017, avec presque 1,6 millions d'exemplaires vendus, ce qui montre que les français restent attachés à cette série. C'est d'ailleurs la seule bande-dessinée pour enfants que j'achète à chaque nouveau tome. Hors romans, il y a des surprises, notamment avec le livre de Peter Wohlleben sur La vie secrète des arbres (Les Arènes, mars 2017) qui a été un succès. 9e meilleure vente de 2017 avec presque 390 000 exemplaires vendus. Bien sûr, le matraquage publicitaire a sans doute aidé. Je ne regrette pas d'y avoir cédé, car cet ouvrage fut un réel coup de cœur.

Un autre livre scientifique est a noté dans ce classement. Il s'agit de Sapiens. Une brève histoire de l'humanité (Albin Michel, 2015) de Yuval Noah Harari. Je ne l'ai pas acheté, ni lu. Paru en 2015, il est encore le 28e livre le plus vendu en France avec 191 800 exemplaires en 2017. C'est dire son succès, qui fut planétaire et a suscité des discussions.

Des chiffres de l'enquête restent intéressants. Par exemple, plus d'un français sur deux a acheté au moins un livre en 2017. Chiffre stable depuis plusieurs années. Plus curieux, le pourcentage de Français ayant acheté entre 4 et 11 livres est en hausse depuis 2015 (passant de 14 à 16%). Dès lors, en 2017, les Français qui lisent ont davantage acheté. Les traductions sont aussi plus nombreuses au fil des années. La moitié d’entre elles concernent des ouvrages en anglais. En 2016, 14% du chiffre d'affaire des éditeurs concernent les sciences humaines et sociales (dont le droit). Un secteur qui représente 5% des exemplaires vendus. Dès lors, c'est un secteur très compétitif. Une hausse de 4% par rapport à 2015. Les ventes de livres de droit restent stables, ce qui veut dire que les autres disciplines tirent bien leur épingle du jeu. 

Phénomène peut-être plus inquiétant, c'est la baisse constante des achats par les Bibliothèques universitaires, sensibles depuis plusieurs années. Est-ce un effet des réductions budgétaires ? Au Havre, l'ancienne BU que j'ai fréquenté entre 2009 et 2014, cette politique semble assez catastrophique. Je suis revenu sur les lieux en 2018, pensant retrouver des ouvrages dans le cadre de mes études en cours. Or, je n'ai pas compris la disparition de certains ouvrages (non-remplacés). Pourtant, dans plusieurs domaines, elle avait un fond plus qu'intéressant. Après, je parle ici uniquement pour le rayon de l'Histoire.

c) La place de l'Histoire

Il y a toujours des succès en Histoire, même s'ils sont moins retentissant peut-être que dans les années 70 et 80.

Ainsi, Le plancher de Joachim. L'histoire retrouvée d'un village français (Belin, 2017) de Jacques-Olivier Boudon, et dont j'ai parlé sur ce blog, s'est déjà vendu à plus de 7 000 exemplaires (chiffres Edistat), soit près de 10 000 en ajoutant les 30% correspondants aux autres canaux de ventes (notamment Internet). Pour un livre d'histoire sociale, dans une maison d'édition purement scolaire et universitaire, c'est un beau succès.

Il y aussi des succès qui font moins plaisirs aux historiens professionnels. Celui du Métronome (Michel Lafon, 2009) de Lorànt Deutsch par exemple. Même si le livre est classé dans la catégorie de la fiction par Edistat, il a été perçue comme un livre d'histoire par le grand public. Il est pourtant truffé d'erreurs factuelles et d'interprétations royalistes hasardeuses. L'auteur assume d'être royaliste, mais il affirme que ce n'était pas son intention de faire transparaître ses idées dans son ouvrage. Il a expliqué sur plusieurs médias que sa démarche était neutre et sérieuse (et ce sont ces affirmations qui feront bondir les historiens professionnels à l'époque). Il y a même eu une adaptation sous forme de docu-fiction sur France 5. Le tome 2 de Métronome a aussi connu un succès auprès du grand public.

Maintenant, après ce petit tour d'horizon de l'édition en France, voyons le sujet du jour : le marché de la biographie historique en France.

2. Le marché de la biographie historique.

La biographie fut à la mode dans la seconde moitié du XXe siècle, mais elle serait aujourd'hui en perte de vitesse. Qu'en est-il donc ?

a) Les succès des années 1970 à 1990.

En 1974, le succès du Louis XI de Paul Murray Kendall, publié chez Fayard, va lancer le genre. Le livre se vend à près de 150 000 exemplaires et est par la suite régulièrement réédité en poche. Le modèle fonctionne, donc il est repris par Fayard, mais aussi les autres éditeurs. C'est l'arrivée sur le marché éditorial d'un nouveau genre de biographie, érudite et écrite par un universitaire spécialiste de son sujet.

Quatre ans plus tard, en 1978, pour la même maison d'édition, le Philippe le Bel de Jean Favier s'écoule à 60 000 exemplaires. Les années suivantes connaissent quelques belles réussites commerciales, comme le Napoléon de Jean Tulard (publié chez Fayard) avec 70 000 exemplaires vendus. En 1986, le Louis XIV de François Bluche se vendra à 90 000 exemplaires. En 1996, le Ramsès II de Christiane Desroches Noblecourt, publié chez Pygmalion, se vend à 200 000 exemplaires.

b) Un succès en trompe-l’œil ?

Malgré tout, ces succès sont rares. L'auteur consacre parfois plusieurs années sur son personnage et si la biographie ne marche pas c'est assez frustrant. François Dosse, dans Le pari biographique, explique que chez Tallandier, pour qu'une biographie soit rentabilisée elle doit se vendre entre 3 et 4 000 exemplaires. Chez Perrin, le seuil de rentabilité est fixé entre 4 et 6 000 exemplaires, même si aujourd'hui il est sans doute plus bas, comme nous le verrons. Mais souvent, une biographie n'atteint pas ce seuil. Chez Fayard, dans les années 1980, le seuil se situait à 8 000 exemplaires, avant de redescendre entre 3 ou 4 000 au début des années 2000.

La question qu'il est possible de nous poser, c'est celle de l'explosion du marché de la biographie historique. Car le genre continue d'avoir, le plus souvent, un rayon entier dans les librairies indépendantes. Dans la librairie où j'achète mes livres, Martelle à Amiens, il y a une étagère entière consacrée à la biographie historique. Si le genre a une place visible, n'est-ce pas parce qu'il se vend ?

c) Les années 2000 et 2010 : une perte de vitesse ?

Mon idée, avant de consulter les statistiques Edistat, c'est que les ventes, en nombre d'exemplaires, sont beaucoup moins importantes qu'avant, mais que l'amateur de biographies a changé sa façon de consommer. Par exemple, comme il m'arrive moi-même de le faire, il achète des biographies thématiques (par exemple, celles concernant les personnages du XVIIe siècle).

Toutefois, en regardant les chiffres des ventes, il est possible d'être moins pessimistes que l'impression générale.

Ainsi, en 2003, le Talleyrand d'Emmanuel de Waresquiel atteint les 30 000 exemplaires vendus la première année (il en est aujourd'hui à environ 40 000).

Le Mazarin de Simone Bertière, paru en 2007 chez Fallois, a connu un réel succès, avec plus de 67 200 exemplaires vendus (uniquement pour le grand format, car la biographie est disponible aussi au Livre de Poche). Les biographies de Simone Bertière sont très sérieuses et connaissent en général un réel succès.

L'autre grand succès éditorial, c'est le Jésus de Jean-Christian Petitfils, paru chez Fayard en 2011. Il s'en est vendu plus de 100 000 exemplaires en grand format. Publié sous le label Livre de Poche en 2013, 40 600 exemplaires supplémentaires ont été écoulés. La presse a tendance à arrondir à 150 000 exemplaires vendus au total (alors que c'est environ 140 600, ce qui n'est pas tout à fait pareil). Ce fut, quoi qu'il en soit, un réel succès.

Il s'agit là de deux auteurs ayant une certaine reconnaissance. Ce sont aussi deux biographes qui ne sont pas des historiens professionnels. Si Petitfils a fait des études d'Histoire et que Simone Bertière est une universitaire (en littérature), je veux souligner qu'ils n'ont pas d'attaches institutionnelles au moment de l'écriture de leurs biographies.

Dans les années 2000, petit clin d’œil personnel, parce que je suis fan, j'ai relevé le succès du Tolkien de Humphrey Carpenter, paru chez Pocket en 2004 et dont 9 000 exemplaires ont été vendus (sans doute aidé en cela par les films). Certains diront que c'est un succès limité au regard des entrées en salles. Il faut savoir qu'à l'époque Tolkien était très largement méconnu, ainsi que son œuvre.

Bref...

Ce qui m'intéresse surtout, c'est de regarder les ventes des biographies après 2011, date de l'édition de poche du livre de François Dosse. Certaines biographies citées ci-après se vendent toujours actuellement. Les chiffres sont donc provisoires.

Il y a le Bonaparte de Patrice Gueniffey, paru chez Gallimard en 2013. C'est déjà 23 000 exemplaires vendus en grand format, sachant que l'ouvrage est disponible dans la collection de poche de l'éditeur.

Il y a aussi le Mitterrand de Michel Winock, aussi publié chez Gallimard en 2015. Ce sont 53 000 exemplaires vendus en grand format, sachant que, là-encore, il y a une version poche chez le même éditeur.

Vous allez me dire : certes, mais c'est Gallimard, avec des auteurs qui sont déjà connu du grand public. Qu'en est-il de Perrin par exemple ? Des universitaires publiant dans des maisons d'éditions secondaires, voire purement universitaires ?

Prenons chez Fayard une biographie d'un personnage connu, peut-être un peu oublié : André Le Nôtre par Patricia Bouchenot-Déchin, parue en 2013. Il s'en est vendu 5 300 exemplaires environ. Chez Perrin, le Barras (2016) de Christine Le Bozec a moins bien marché avec 1 600 exemplaires vendus. Chez Flammarion, la biographie de Derrida  (2010) par Benoît Peeters a connu un bon succès avec 11 200 exemplaires vendu.

En plus de Gallimard, seul Fayard arrive à tirer son épingle du jeu de temps en temps, avec un réel succès. Pour Perrin, c'est plus limité - nous l'avons vu - mais cela arrive, comme nous allons le voir dans l'exemple qui suit.

d) Le choix d'une biographie : quels critères ?

Le critère de choix d'une biographie dépend avant tout de la notoriété de l'auteur. Pour s'en rendre compte, j'ai comparé les ventes du Robespierre de chez Fayard, rédigé par Hervé Leuwers (un universitaire sérieux, mais inconnu du grand public), et celui de chez Perrin, rédigé par Jean-Clément Martin, bien plus connu car il a réfuté la thèse du génocide vendéen. Il est donc rattaché à la figure de Robespierre. Celle de Fayard, parue en 2014, s'est vendue à 9 300 exemplaires. Elle est disponible en poche. Celle de Perrin, parue pourtant plus tard, en 2016, en est à près de 16 000 exemplaires vendus. La biographie est aussi disponible en poche.

D'autres biographies connaissent moins de succès, notamment dans une maison comme Payot, ou des maisons universitaires comme Belin. Ainsi, la biographie de Messaline de Jean-Noël Castorio s'est vendue à 992 exemplaires (arrondissons à 1 000). Cela peu paraître peu, mais ce n'est pourtant pas si mal. Déjà, il s'agit d'un personnage antique (qui attire beaucoup moins les lecteurs). Ensuite, malgré toutes les compétences de l'auteur, il reste inconnu du grand public.

Nous avons vu, avec l'exemple de Robespierre, que la notoriété de l'auteur joue encore beaucoup dans le choix du lecteur. C'est ce qui explique que les livres d'un Max Gallo (mort en 2017), malgré une baisse des ventes les dernières années, ont conservé un grand succès (son Henri IV, paru en 2016, s'est vendue à 30 000 exemplaires).

Perrin, par exemple, a un auteur qui publie régulièrement et a donc su se construire un public : Georges Minois (dont j'aime bien les biographies). Son Philippe le Bel (2014) s'est vendu a près de 2 800 exemplaires. Son Richard Coeur de Lion (2017) a connu aussi un petit succès avec déjà 2 600 exemplaires vendus.

Si Minois vend peu, mais les ventes de ses biographies sont stables. De plus, il a un lectorat fidèle qui achète presque chacun de ses ouvrages. Cela confère à l'éditeur une sorte de sécurité.

Un autre critère a prendre en compte c'est la difficulté du genre. Malgré les critiques, les universitaires, nous avons déjà commencé à l'esquisser, considèrent la biographie comme quelque chose de technique.

3. Un genre difficile.

Chacun sait ce qu’est une biographie. C'est un ouvrage qui a pour objet l'histoire de la vie. Il s’agit aussi de l’histoire d’une personne par une autre personne.

L’histoire de soi-même est une autobiographie. Ce genre-là fut popularisé par un écrivain très connu du XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), auteur des Confessions.

Un genre qui s’en rapproche est celui des mémoires, à la mode en France à partir du XVe siècle. Aujourd’hui encore, des « stars », des hommes politiques et même des savants écrivent leurs mémoires. C’est souvent très intéressant à lire car il s’agit en général de la reconstruction par les auteurs de leur parcours professionnel davantage que de leur parcours de vie. Ils mettent en avant le personnage public qu’ils ont été. Un exemple illustratif est celui des Mémoires de Talleyrand (1754-1834). Il s’invente presque une image, déformant les faits, voir omettant des détails. Ce genre de textes repose avant tout sur l’honnêteté de l’écrivain.

Napoléon en a écrit de forts intéressants, aidé par ses proches présents à Sainte-Hélène. Il les a rédigés en s’appuyant sur un véritable travail de recherche, presque en historien. Parfois, comme avec son récit de la défaite de Waterloo, il reste persuadé qu’il a subi les événements. Toujours est-il que sa documentation essaie d’être la plus fidèle possible. Pour la campagne d’Espagne entre 1808 et 1813, il va jusqu’à reconnaître ses erreurs.

La biographie, c’est donc l’écriture de la vie. En théorie, il serait possible d’écrire la biographie de tout et n’importe quoi, pourvu que l’objet soit un être vivant. Cela pose la question difficile de la vie.

Raconter la vie d’un individu ayant existé est encore plus compliqué. La biographie historique est un genre difficile car il faut saisir le sujet dans sa globalité, de sa naissance à sa mort ; mais aussi au travers de ses influences et de sa mémoire, longtemps après sa disparition. Comme l’écrit Laurent Theis, « durant le siècle qui suivit sa mort, Guizot en vint à être presque oublié »[1]. Chose troublante que cet oubli par les vivants d’un homme qui fut, en son temps, omniprésent.

Il faut percer à jour une psychologie, s’imprégner d’habitudes de penser, de valeurs à des années lumières des nôtres. Pour renforcer la distance, Emmanuel de Waresquiel a choisi de faire la biographie de Fouché, un être pour lequel il n’a aucune sympathie.

Écrire une bonne biographie nécessite d’aimer son personnage, dit-on, d’avoir des points communs avec lui. Jacques Le Goff, dans son Saint-Louis, pressentait déjà l’impossibilité d’atteindre cet idéal. Comment se mettre dans la peau d’un roi chrétien du XIIIe siècle ? Il note avec force cette illusion biographique dont parle Pierre Bourdieu. Aborder en historien la vie d’un grand homme incite à la prudence. Il faut faire un usage encore plus parcimonieux des sources, des témoignages et des écrits scientifiques. La tâche est presque artistique car il s’agit de composer un portrait.

L’histoire, c’est rendre accessible l’inaccessible, c’est faire émerger d’un amas de documents et de sources diverses un récit, semblant de vérité plus ou moins cohérent. Pendant longtemps, il fut jugé trop littéraire de peindre par des mots l’histoire d’une vie ; c’était l’occupation du romancier, pas de l’historien. La biographie est un exercice ambigu, résultat d’une interprétation, d’une construction. Les méthodes n’en demeurent pas moins scientifiques. Comme l’affirme Emmanuel de Waresquiel, « on donne à lire un récit, avec ses enchaînements, ses apparences logiques, ses effets de surprise, sa vitesse et ses lenteurs, alors qu’en réalité on reste secrètement confronté aux grands problèmes de recherche et de méthode que doivent résoudre tous les historiens »[2]. Une biographie se doit d’être quelque chose de fluide, qui fasse transparaître la passion de l’auteur pour son personnage. C’est un genre exigeant.

La biographie concerne principalement des grands hommes, rarement des gens du peuple. Toutefois, il y a des exceptions, comme le livre d’Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798-1876) ou encore celui de Christian Chevandier, La Fabrique d'une génération. Georges Valero postier, militant et écrivain[3].

Conclusion

Finalement, la biographie historique est souvent l'objet de bien des mépris, alors qu'il s'agit d'un difficile, parfois technique lorsque la documentation manque. Il se prête aussi très bien à des réalisations plus littéraires, comme en propose un Max Gallo. Quoi que certains en disent, c'est un genre toujours vendeur, avec des bons succès de librairies, certes pas du niveau de ceux des années 1970-80 (mais quand même...).

Notes

[1] THEIS Laurent, Guizot. La traversée d’un siècle, Paris, CNRS Éditions, 2014, p. 9. 

[2] WARESQUIEL Emmanuel (de), Fouché. Les silence de la pieuvre, Paris, Tallandier/Fayard, 2014, p. 13.

[3] Les biographies sur des « inconnus » ou des « oubliés » de l’histoire sont peu nombreuses. Citons-en quelques-unes, parmi les plus illustratives : CORBIN Alain, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798-1876), Paris, Édition Flammarion, 1998 ; CHEVANDIER Christian, La Fabrique d'une génération. Georges Valero postier, militant et écrivain, Paris, Les Belles Lettres, « Histoire de profil », 2009 et  WARESQUIEL Emmanuel, Une femme en exil : Félicie de Fauveau, artiste, amoureuse et rebelle, Paris, Robert Laffont, 2010.

 

Rédigé par Simon Levacher

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